C’est à l’ultime point de l’eau que montent les vapeurs, élégance et raffinement ne savent pas de limites.
La qualité première de l’artiste contemporain devrait être l’indépendance d’esprit. Il faut qu’au cours du processus de création il soit capable de contrôler la matière avec aisance, qu’il sache prendre son temps et exprimer avec maîtrise son humeur artistique. L’œuvre de Shi Jianmin déborde de romantisme, elle est d’une élégance au charme aisé, puissant et dégagé, expression d’une expérience complexe et exigence culturelle dans le mode de vie.
Et le fait est qu’il suffit de se pencher sur son passé pour retrouver toutes sortes de souvenirs et d’émotions qui n’ont rien d’éphémère. Parmi les choix conscients effectués au cours de son existence, il y a, nette et évidente, la marque de certaine ville de l’Ouest. Au temps amer et studieux de l’adolescence, sa soif de savoir étant allée de pair avec une assiduité énergique, lorsqu’au milieu des années quatre-vingt il a été admis à l’Académie des arts appliqués, le rêve –l’art- rejoint les rails de la réalité et de la trajectoire consciente. Par la suite Shi Jianmin s’est essayé dans de nombreux domaines professionnels, mais lorsque ce vagabondage matériel est devenu vagabondage psychologique, il a réussi à structurer à partir de son histoire une intelligence de l’art. Avec calme, avec assurance, il a construit l’univers artistique qui est désormais le sien.
Du point de vue de l’individu, ce choix conscient s’est cependant édifié à l’intérieur d’un savoir : celui du métal. Autrement dit, il a opté pour une exploration artistique ardue. Au fur et à mesure de ses différentes phases la qualité de ses œuvres s’est améliorée. Coupé, forgé, soudé, poli, devenu symbole imagé, élément d’un langage dont la base est la « chaise », l’acier inoxydable prend désormais toutes les formes, les plus merveilleuses comme les plus étranges : nuages flottants, eau qui court… Semblables au chant ou à une confession, elles éveillent en nous des émotions complexes. La combinaison matériau robuste/sentiment élégant semble un remède contre l’insipidité qui ronge nos existences. En achevant son idéal artistique, Shi Jianmin a mis en forme la quête ultime de l’humanité, une forme d’introspection d’une grande exigence, en même temps que ses préférences culturelles en matière d’art et de design.
Au fur et à mesure qu’il effectuait des choix –cadre de vie, par exemple, et qu’il s’appliquait à constamment réguler son mode de pensée, Shi Jianming a développé une intense soif de beauté. Cela aussi c’est une quête, de plus en plus consciente, et une constante du chemin artistique sur lequel il persévère depuis des années. Bien sûr, les pesanteurs de l’existence lui ont enseigné ce que signifiait la « légèreté de l’être », aussi lorsqu’il s’applique à faire le lien entre ses goûts individuels et les notions esthétiques qui prévalent dans la société, c’est avec son intellect qu’il choisit. Avec la plus grande circonspection, dans la vie même il va chercher le romantisme et le raffinement que l’art mettra en valeur. C’est pour que puisse se déployer la pensée de l’individu que l’acier est tordu. Les formes se modèlent sur son gré, la matière obéit aux fluctuations de la libre pensée humaine, on y trouve une sorte de joie du design qui vient de l’exploration du matériau et des modifications qu’on lui fait subir. Comme il est dit dans le Kao Gong Ji à propos de l’ébénisterie : « Dans le ciel est le temps, dans la terre la force ; la beauté est dans le matériau, l’intelligence dans le savoir-faire ». Cette expérience des temps anciens a exercé une influence intangible sur l’œuvre de Shi Jianmin, dont le concept de base est la « chaise ». Elle a par exemple décidé de l’attention extrême qu’il porte, le plus consciemment du monde, à la structure. L’idée et sa réalisation artistique sont l’expression d’une approche culturelle consciente, basée sur une compréhension exacte du concept, une maîtrise rationnelle de la composition et une maîtrise efficace du matériau. C’est pourquoi une fois que l’œuvre est là, avec sa tonalité, son éclat, sa composition et son matériau, elle n’évoque en rien une créativité débridée : c’est le fruit de réflexions infinies, de délibérations et de réévaluations de ce qu’impliquent les classiques. Comme disait Zhuang Zi : « Quand l’orateur est à ce qu’il dit, il obtient l’âme et oublie la parole ». Aussi de ces œuvres où les nuages dansent dans le vent, où les énergies semblent se condenser et les couleurs s’arrêter, se dégage une harmonie et une lointaine élégance, tout le raffinement d’une quête d’absolu.
En calligraphie chinoise, l’écriture dite « cursive » modifie les mots jusqu’à affaiblir leur sens originel pour leur faire acquérir un sens et une tonalité venus de l’encre, un sentiment au-delà-de la beauté. Pour reprendre les termes de Sun Guoting, ils atteignent par « le jeu des terminaisons en pointe et en goutte, les effets du tonnerre qui roule, de la pierre qui chute dans l'abîme, les mouvements de l'oie sauvage qui vole à tire-d'aile et celui de la bête effarée qui se cabre, l'allure du phénix qui danse dans les airs et celle du serpent qui se dresse en sifflant, les figures de la falaise abrupte et des pics dénudés ». La compréhension qu’a Shi Jianmin de la calligraphie vient à la fois de l’illumination que fut sa découverte de la Forêt des stèles, mais aussi de l’acuité de sa conscience culturelle. En conséquence de quoi, dans les « chaises » de sa première période et grâce à sa connaissance de l’acier, le plein devient vide, les formes, fines et gracieuses, claires et droites, ont un sens. Elles semblent flotter dans l’air et jouent les mystères de la nature. Une énergie en dérive, elles débordent de sophistication et de raffinement.
Ces œuvres en « dur » sont l’incarnation d’une norme et d’une unité culturelle à l’intérieur desquelles technique et sentiment du beau ne font plus qu’un. Les réalisations de Shi Jianmin ont la versatilité de la calligraphie cursive, elles en ont aussi la tension, si bien qu’on retrouve en elles toutes les émotions, les folies et les rébellions des Zhang Xu, Huai Su, Fu Shang ou Wang Duo. Tour à tour énergie du vent qui chasse les nuages, concentré tenace d’émotions, conjectures obscures ou sentiment de divine détente, elles sont la parfaite métaphore de ce que disait Su Dongpo : « Quand à l’intérieur des lois naît une idée nouvelle, c’est merveilleux, au-delà de tout sentiment. » Nous dépassons le cadre de l’art contemporain.
En fait, depuis qu’il a opté pour l’acier inoxydable, Shi Jianmin n’a cessé de renforcer son parti-pris d’élégance, son champ de vision est allé s’élargissant et la découverte des roches décoratives du Taihu, ces pierres qu’on trouve dans tant de jardins du Jiangnan, a été pour lui une révélation. Ce raffinement dont il a tant souci se retrouve dans leur exquis modelé, leurs courbes et leurs déliés. Elles aussi, en raison de la culture qu’elles représentent, sont devenues des symboles d’harmonie et de délicatesse.
En empruntant à leurs formes il a réinventé son art et accompli sa foi. Partie de la forme, la manifestation du visuel par la saisie, la découverte et la compréhension de l’image artistique est revenue à la forme. Ce qui compte, c’est la puissance du jugement esthétique de l’artiste et la culture que son expérience lui a permis d’acquérir. Qu’il les réalise à la claire lumière d’une fenêtre ou celle d’une simple lampe par une nuit pluvieuse, les esquisses de Shi Jianmin sont toujours le fruit de longues réflexions et délibérations. Si l’alliance entre raffinement des pierres du Taihu et pureté de l’acier inoxydable leur donne l’élégance des nuages du ciel, leur calme assurance est le fruit de longues années de recherche.
Dans les « chaises » de Shi Jianmin, la notion de « meuble » est gommée pour laisser place à celle d’ « œuvre ». En conséquence, du fait que le concept artistique est le concept dominant, de la combinaison des différents éléments et des différentes sensations –visuelles, stylistiques, etc.- se dégage une saveur qu’on pourrait qualifier d’intangible. Cette manière d’appréhender, et la « forme signifiante » qui en découle, ont mené l’artiste à nous dévoiler le sens même de son existence en tant qu’individu. C’est ce qui donne à ses œuvres leur espace de liberté. Ce qui fait aussi que lorsqu’on les apprécie tous les sens, le goût, l’ouïe, le toucher, etc., sont en éveil, que c’est un lent processus à évolution cyclique : du plus superficiel nous allons au plus profond, de la surface vers l’intérieur. Qui plus est, la richesse et la complexité de la forme étant souvent liées aux intérêts et aux fluctuations de l’existence, l’œuvre de Shi Jianmin a connu diverses phases.
Attachement à la tradition et soif de modernité sont deux éléments de son expérience visuelle. Le premier court depuis toujours dans ses veines, le deuxième est le fruit d’une quête consciente. Si Shi Jianmin a opté pour la chaise, c’est sans doute en raison de quelque dépendance psychologique, mais aussi par volonté de dépassement. Aussi, quelle que soit l’œuvre, est-ce des détails que dépend la qualité. Lorsqu’il travaille l’acier, et tout au long de sa démarche créatrice –du choix de la composition au moindre processus artisanal- Shi Jianmin a à cœur le plus infime d’entre eux. C’est du fait qu’il ait choisi de se baser sur les propriétés du matériau en soi que sa minutieuse maîtrise du design et du procédé, ainsi que son jugement esthétique et sa compréhension de l’univers, sont devenues les caractéristiques premières de son mode d’expression. On retrouve chez lui le raffinement de « la forme intangible et la musique muette » prônées par Zhang Huaiguan, le sentiment « d’âme de l’art, de cœur de l’univers » dont rêve Sun Guoting. Aussi, se dégage-t-il de son idéal et de sa conviction une atmosphère toute de noblesse et d’élévation. Ce sont la tendresse et le raffinement de son existence privée qui ont donné à son art la forme qu’il a aujourd’hui. Comme on dit : Les lotus s’ouvrent et se fanent sans que l’eau d’automne perde sa limpidité.
Zhao Nong
Le 20 mai 2007
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